Article – Ludipsy
Le jeu comme méthodologie en travail social
Au fur et à mesure de mes expériences ludiques, le jeu est passé, pour moi, d’une occupation, d’un hobby, à une manière nouvelle d’appréhender et de concevoir des idées innovantes. Une façon originale et conviviale d’aborder diverses thématiques et de rentrer en contact avec des personnes. Rapidement, cela a fait écho à ma pratique professionnelle. En effet, en tant que travailleur social, je suis amené à échanger avec différents profils de public. De plus, dans les appels à projets, il est souvent demandé d’être innovant, de proposer des activités qui n’existeraient pas encore et qui seraient inclusives. Je me suis donc poser la question à savoir si le jeu avait sa place en travail social et si oui, comment l’implémenter.
Le jeu permet de travailler sur trois dimensions essentielles en travail social : le pédagogique, le relationnel et le bien-être.
La dimension pédagogique
La dimension pédagogique est très probablement l’aspect le plus connu et pratiqué, la ludopédagogie voit progressivement son succès s’accroitre. Même les maisons d’éditions prennent conscience de ce potentiel et développent une approche pédagogie sur base de leur catalogue de jeux.
La pratique ludique est une source de motivation car liée au plaisir que nous procure cette expérience. Une observation assez simple permet de remarquer que le ludique est inné chez l’être vivant. Ne passe-t-on pas un certain temps à jouer avec son animal de compagnie ? En outre, l’enfant dès sa naissance est couvert de jeux et jouets et cela parait le plus normal du monde. Pourquoi devrions-nous nous distancier de cet instinct dans l’apprentissage ?
Au-delà de la motivation qu’est-ce que le jeu peut apporter de plus? Tout d’abord, cela nous permet de varier de modèle d’apprentissage.
Les différents modèles d’apprentissages
1) En effet, nous nous reposons actuellement principalement sur un modèle transmissif. C’est-à-dire, la personne est dans une position assez passive où elle doit écouter, recopier et mémoriser. Le rôle du formateur se limite dès lors à exprimer et exposer les apprentissages nécessaires. Les souvenirs de votre scolarité vous feront remarquer que le monde de l’enseignement utilise principalement ce modèle. Un modèle unique ne me paraît donc pas pertinent car nous avons tous des affinités différentes.
2) Le jeu permet de travailler aussi à partir d’un autre modèle qu’est celui du comportementaliste. Par la répétition d’une ou de plusieurs actions, les personnes peuvent intégrer certains éléments probablement plus complexes car comme le dit l’adage, « c’est en forgeant qu’on devient forgeron ». Par l’expérience directe, l’élève vivra un apprentissage expérientiel ce qui l’aidera à mieux le mémoriser.
3) Un troisième modèle est celui du constructivisme, qui appelle la personne à mobiliser ses savoirs existants et à les mettre en application. Du savoir au savoir-faire, nous passons désormais à la compétence. De manière individuelle ou collective, les personnes seront amenées à s’engager dans la résolution de problématiques simples et complexes.
La solution se trouve donc dans la mixité de ces 3 modèles. Confrontée à un nouveau jeu, la personne va devoir se l’approprier, ce qui fera appel au modèle constructiviste. Ensuite, pour développer sa stratégie d’apprentissage, elle devra certainement s’appuyer sur des savoirs que le modèle transmissif lui apportera, à la différence importante qu’elle y adhérera par motivation et non par obligation. Enfin, en jouant plusieurs fois à ce même jeu, nous pouvons faire appel au modèle comportementaliste pour assoir davantage les savoirs. Eh oui, le jeu permet tout cela.
Cependant, il convient évidemment d’encadrer cette pratique ludique, d’observer les personnes afin de soutenir celles en difficultés, de recueillir leur avis sur l’expérience ludique et ce qu’elles en retiennent. C’est pourquoi, je ne peux que vous invitez à vivre ce type d’expérience ludique via des formations, avant que vous la fassiez vivre à d’autres, comme cela vous pourrez vous faire votre propre idée.
La dimension relationnelle
La seconde dimension, celle du relationnel, est la plus puissante du jeu car celui-ci nous permet de rentrer en relation avec soi et autrui d’une manière bienveillante et conviviale. S’il convient de préciser que le jeu n’est pas une panacée universelle, il est plus qu’un simple outil ; le jeu est un art de la rencontre. Le jeu apporte du plaisir pour soi d’abord, mais aussi dans la relation à l’autre. Il permet aussi de travailler l’écoute, la créativité, la curiosité, l’enthousiasme de manière humaine.
Il est important de préserver l’âme du jeu, qui doit nous nourrir intérieurement car il nous aide à nous mettre dans une posture positive, de transmettre des valeurs, d’apprendre à perdre et de rebondir face à l’échec. Mais pour cela il convient également de bien choisir les jeux dans un contexte d’intervention sociale.
Le contexte de l’activité ludique est aussi essentiel que le jeu en lui-même pour favoriser cet aspect relationnel. Il soutient le pouvoir du jeu pour dédramatiser et s’émanciper. Pour un public de non-joueur-euses, il est important de rassurer et de poser un cadre sécurisant (esprit bon enfant, pas de jugement, surtout pour le plaisir) et de laisser la liberté de joueur ou non.
La dimension du bien-être
La troisième dimension, et non des moindres, est celle du bien-être que nous procure le fait de joueur. Il permet notamment de :
– Réduire l’anxiété car les situations d’échecs sont mieux tolérées et jouer nous permet de nous déconnecter de notre quotidien.
– Favoriser la cohésion d’un groupe
– Soutenir la motivation intrinsèque : L’action de jouer ramène à des souvenirs et des expériences positives. Cependant, ce n’est probablement pas le cas pour tout le monde. Il convient donc de faire attention à cet aspect lorsque l’on anime un atelier ludo-social.
– Nous plonger dans l’instant présent : Quand nous jouons, nous sommes en général concentré sur la partie, et donc sur ce qui se passe dans le présent. En méditation en pleine conscience, ce principe existe également. Se pourrait-il que le jeu soit une forme de médiation? C’est une réflexion personnelle que je vous partage. Pour avoir pratiqué ces 2 méthodes, j’en retire de nombreuses similitudes.
– D’apprendre à réguler nos émotions
– Tisser plus facilement des liens sociaux
Ces avantages mettent en avant le potentiel du jeu dans l’apprentissage autant formel qu’informel. Cela va dans le sens de ce qui est promu pour le développement de l’enfant[1] car le jeu a des vertus en matière d’éducation, sur le plan social et cognitif et même thérapeutique. Ce dernier aspect n’est pas souvent mis en avant, ce pourquoi je vais m’y attarder quelques instants.
L’application en thérapie par le jeu
La thérapie par le jeu, pour l’instant surtout privilégiée pour les enfants, montrerait des résultats positifs probants. Elle serait plus efficace que d’autres modèles de thérapies et permettrait de réduire les comportements perturbateurs et agressifs[2].
En outre, une étude allemande réalisée en 2018[3], qui s’est intéressée à la pratique du puzzle, a réussi à démontrer que cela avait un impact positif sur les fonctions cognitives et permet également de diminuer l’anxiété.
D’autres études portant sur les jeux vidéo ont également prouvé un lien entre la pratique du jeu et un effet sur le bien-être des personnes.
Une étude australienne[4] datant de 2013 a présenté des résultats, après avoir analysé plus de 200 recherches scientifiques, qui soutiennent que le jeu est favorable au bien-être.
Une seconde étude[5], américaine et datant également de 2013, s’est intéressée à l’impact du jeu vidéo chez les personnes âgées (moyenne d’âge de 77 ans sur 140 participant-es).
Les résultats ont permis de montrer qu’il y a de fortes différences entre les personnes qui ne jouent pas du tout et celles qui jouent de manière régulière ou occasionnelle. Jouer serait donc source de bien-être et jouerait un rôle positif pour lutter contre la dépression. On remarque également une aptitude sociale plus développée et une meilleure perception de sa santé en particulier chez les joueur-ses occasionnel-les. L’absence de jeu serait vécue comme ayant un impact négatif sur le bien-être.
Découvrir Ludo-Social
C’est par ce travail d’exploration et la mise en pratique d’expériences ludiques que j’ai pu développer une méthodologie qui allie le jeu et le travail social. Dans cette optique, j’ai développé le site web www.ludo-social.be Celui-ci a pour but de faire la promotion de cette méthodologique que j’ai baptisée ludo-sociale et qui se veut être l’alliance du jeu et du travail social. Il a également comme objectif de soutenir les associations et autres professionnel-les du secteur dans l’implémentation d’une pratique
Outre pour mon intérêt professionnel, je désire, en réalisant ce site, valoriser l’approche ludique. Encore fortement jugée comme peu sérieuse ou adaptée uniquement à un public très jeune, je souhaite initier une inversion de tendance. Je sais que la tâche est ardue, mais je ne pense pas que je m’y lancerai si elle ne l’était pas. Aimant relever des challenges, je pense en avoir choisi un dans lequel m’investir à 100%. Me voici désormais à l’aube d’un nouveau voyage vers l’inconnu, qui sera probablement rempli d’obstacles et d’événements impromptus. Cependant, mon esprit ludique et mes connaissances me fournissent les matériaux nécessaires à l’accomplissement de ce futur jeu de parcours, fait d’hasard et de raison. Le travail ludo-social, inscrit dans une démarche « intellectruelle », débouche sur la sérendipité, celle-là même qui m’a amené à réaliser cette méthodologie. Que la partie commence.
[1] http://www.enfant-encyclopedie.com/jeu/introduction
[2] http://www.enfant-encyclopedie.com/jeu/selon-experts/therapie-par-le-jeu
[3] https://lebienetrepourtous.com/2019/03/08/puzzle-fonctions-cognitives-et-stress/
[4] Johnson D., Jones C., Scholes L., Colder Carras M., (2013) Videogames and Wellbeing: A Comprehensive Review, Australie, Young and Well Cooperative Reseach Centre.
[5] Allaire et al. (2013), Successful aging through digital games: Socioemotional differences between older adult gamers and Non-gamers, Caroline du Nord, Etats-Unis, North Carolina State University